Un des livres dont le titre seul m’incite à me le faire acheter. Et le sous-titre “Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur internet” d’autant plus. Les deux auteurs, Pierre Plottu et Maxime Macé sont journalistes spécialistes du sujet et ca me semblait un atout solide.

De quoi ça parle

Des premiers sites d’extreme-droite dans les années 90 aux communautés de néo-nazis sur Telegram, en passant par les nombreuses chaines Youtube, les deux auteurs font un tour d’horizon des grandes figures de la fachosphère française, de leurs évolutions et de leur intégration ou récupération par les médias traditionnels.

Mais encore

Sans vouloir encore faire mon raleur, je trouve que la formule est éculée. Ou plutôt que les deux auteurs restent à la frontière du sujet. Sans doute pour rester accessibles au plus grand nombre, ils se concentrent en effet sur les grosses figures de la fachosphère, les figures dont les noms ont dépassé le contexte du web et ont déjà été discutés (voire récupérés) par les médias traditionnels (presse, radio ou télé).

Là où je trouve qu’ils ratent leur sujet c’est qu’ils considèrent uniquement que ces figures, d’extreme-droite par nature, imitent les pratiques des différentes plateformes, c’est plus pour éviter de se faire bannir que comme stratégie marketing et de recrutement. Par exemple, s’ils abordent les forums de JVC, c’est pour dire qu’il sont déjà noyautés par l’extrême droite et que telle figure y a participé.

Les stratégies d’infiltration des fandoms et des communautés (ce qui pourtant pourrait sembler évident dans le cadre de JVC via le jeu-vidéo), l’infiltration des tendances instagram (par exemple avec les tradwives), ou la récupération du fitness en général quelque soit la plateforme, est complètement absent de leur thèse. L’infiltration en jouant sur les insécurités, que ce soit en récupérant la figure du geek, les incels, le rapport au corps etc, idem.

Bref, j’ai un peu l’impression que le comment, qui pourtant introduit leur sous-titre, passe à la trappe.

Sur ces aspects, je trouve d’ailleurs l’interview de Pierre Plottu chez basta! assez révélatrice dès la première question. Alors que la question de basta! présente clairement des exemples de récupération ou d’infiltration de communautés, Pierre Plottu semble se concentrer purement sur la partie média et transmission du message.

Il serait simple de faire référence à la vidéo d’Innuendo Studio “The Alt-Right Playbook: How to Radicalize a Normie” qui traite de ce sujet de façon bien plus complète mais dans la sphère anglophone / américaine. Coté francophone, l’article récent de Stéphanie Lamy sur la récupération du mois de novembre par les milieux masculinistes me semble aussi plus adéquat.

Et la trousse a outils ?

Quid également des campagnes de harcèlement en ligne continues envers les utilisateurs et créateurs de gauche, coordonnées par des figures de l’extrême droite ? Celles qui, sur le moyen ou court-terme, conduisent au bannissement de leurs comptes, noient leur contenu sous des tonnes de messages délétères, détruisent leurs revues (aucune discussion du review-bombing par exemple) et surtout usent les créateurs par 1000 coupures.

Les auteurs semblent se concentrer sur la partie émission du message avant tout.

Quite à titrer cette section “trousse à outils”, il me faut cependant dire qu’ils parlent de la métapolitique dans son utilisation par l’extrême-droite. Sauf que, s’ils font un rappel historique et théorique bienvenue, ils ne l’utilisent pas comme grille de lecture ou d’analyse de leur sujet.

Média média ?

J’avoue ne connaître le travail d’aucun des deux auteurs. Mais l’image que je retiens de cette lecture, c’est de journalistes très début 2010. Média traditionnels (tous deux sont actuellement chez Libération et Slate) avec un compte Twitter via lequel ils prennent le pouls de l’actu. Et qui semblent découvrir YouTube.

Pourtant, ils sont plus jeunes que moi.

J’ai aussi du mal à ce qu’en 2024, les biais de Twitter ne soient pas plus discutés, et la plateforme mise au même niveau que les tréfonds de l’internet comme 4chan ou le 18-25 de JVC.

Et les objets culturels dans tout ça ?

Je reviens sur cette revue quelques jours plus tard pour y ajouter ce point. Au delà de ce regard centré sur les médias mentionné au paragraphe précédent, je réalise que les différents auteurs, que ce soit ceux de ce livre, Salomé Saqué, Stéphanie Lamy ou Achraf Ben Brahim semblent faire l’impasse des cultures populaires et objets associés dans leurs analyse. Internet est pris simplement comme un média, un canal de diffusion et non pas comme un ensemble d’espaces communautaires.

Ce livre qui pourtant me semblait vouloir aborder ces sujets en fait l’impasse. Il est rare qu’un-e internaute, en dehors de celleux dont c’est le sujet de recherche, se connecte pour aller se renseigner sur les derniers éléments de langages de l’extreme droite et aille directement sur les chaînes dont c’est le coeur d’activité.

Par exemple, ils décrivent en détail le parcours, le contenu et les dérives de Baptiste Marchais, a l’extreme droite dès le début, mais ne considèrent pas les dérives de plus en plus prononcées de TiboInShape sur le même segment fitness. Ou l’angle de plus en plus misogynes des vidéos d’un certain influenceur sur le Japon.

J’ai mentionné plus haut l’analyse d’Innuendo Studios sur l’infiltration des communautés. Coté extrême droite américaine, c’est d’ailleurs un sujet théorisé par certaines communautés évangélistes et pentecôtistes sous le nom de mandat des 7 montagnes. Les 7 montagnes en question étant 7 secteurs de la société (la famille, la religion, l’éducation, les media, les arts et divertissements, le business et le gouvernement) dont il faudrait exorciser les influences démoniaques introduites par tout ce qui n’est pas conforme aux pratiques évangélistes ou à la rigueur chrétiennes fondamentalistes.

Ils sont notamment derrière les campagnes de lobbying auprès des plateformes de payment en ligne pour arrêter tout ce qui touche à la nudité ou au travail du sexe. Parmi les 7 montagnes, certaines ciblent directement la culture et les objets culturels. Nombreux étant les créateurs francophones a copier s’inspirer de reprendre les types de vidéos américaines à la mode (quand ce n’est pas se contenter de les traduire simplement) et ou les méthodes pour générer de l’engagement, ils importent également les culture wars qui vont avec.

Comme pour PayPal ou Visa, on pourrait aussi s’interroger sur les effets de ces groupes de pression sur les règles de modération des plateformes, notamment Instagram, ou les contenus évangélistes et/ou mettant en avant les pratiques associées sont mis en avant et/ou servent de référence au reste (tradwives etc…).

Le mot de la fin

En soit, le livre propose un tour d’horizon assez complet principaux influenceurs de la fachosphere de 2024 et peut valoir le coup de ce point de vue.

Mais…