Le progrès sans le peuple (David Noble)
Toujours dans la série des textes technocritiques ou qui questionnent notre rapport à la technologie. Ce livre de David Noble est un des livre les plus cités sur le sujet.
De quoi ça parle ?
Quelle est notre rapport à la technologie, comment est-ce qu’on se l’approprie ou au contraire, comment nous est-elle imposée.
Mais encore ?
Focus sur le secteur industriel un peu dépassé aujourd’hui mais ses analyses sont toujours valables 30 ans plus tard. Le virage de la finance et du néolibéralisme n’était sans doute pas encore si visible, même si certains commentaires (la comptabilité créative, l’anecdote de la machine qui génère des profits quand elle est en panne, à l’arrêt voire jamais mise en service pourrait s’en rapprocher).
Le mot de la fin
À lire, comme cadre de réflexion mais à bien mettre à jour dans le contexte contemporain.
Extraits en vrac
Une autre vision du progrès : défense du luddisme
Faute d’ancrage dans l’espace, l’idée désincarnée s’est mise à flotter hors du temps aussi. Le développement technologique a fini par être perçu comme un phénomène autonome, indépendant de la politique et de la société, doué d’une destinée propre devant nécessairement se confondre avec la nôtre. Vu depuis le présent, le développement technologique n’est plus que le poids mort du passé et la promesse perpétuelle de l’avenir. Le déterminisme technologique, c’est-à-dire la domination du présent par le passé, et le progrès technologique, c’est-à-dire la domination du présent par l’avenir, ont fait disparaître la technologie au présent. La perte du concret, […] a aussi eu pour effet une perte du présent en tant qu’espace de jugement, de décision et d’action.
En somme, dans la première moitié du 19e siècle, les travailleurs résistèrent à l’intrusion de rapports sociaux capitalistes marqués par la domination et le salariat-esclave ; ils étaient bien conscients que l’introduction de nouvelles technologies par leurs adversaires s’inscrivaient dans un rapport de force plus large. Ayant l’avantage de ne pas être encombrés d’une conception abstraite et paralysante du progrès technologique, ils essayèrent simplement de résister à cette offensives sur leurs vies par tous les moyens possibles. Ils n’avaient rien contre les machines mais ne les idolâtraient pas non plus. S’il fallait choisir entre les machines et les gens, ou plus précisément, entre les machines du capitaliste et leurs propres vies, les priorités étaient toutes tracées. […] non pas la manifestation inévitable de quelque obscure destinée mais plutôt l’établissement d’un système politique de domination qui signifiait leur perte.
C’est l’idée qui nous a été léguée : one ne peut pas, one ne doit pas barrer la route au progrès — même s’il doit nous tuer.
La technologie au présent
Retour sur les mouvements de contestation à l’informatisation dans les années 80, par les ouvriers et employés et les positions fluctuantes des syndicats, aux US, Allemagne, Australie, Pays-Bas, Suède…
Cinq tâches au moins attendent l’intellectuel engagé : inverser la charge de la preuve ; créer l’espace permettant de dire non ; développer des moyens de résistances ; inventer un autre avenir qui reste ancré dans le présent ; et, enfin, dépasser le mythe de la machine, le fétiche de la transcendance technologique, de façon à ménager une place à l’opposition politique.